Après des siècles où la peinture s’était contentée de signes archétypaux – des lignes ondulées pour désigner l’eau, des festons pour symboliser les nuages… – il leur a fallu, lentement, inventer un vocabulaire des formes du réel. Aux alentours de 1300, Giotto peint encore, en fait de campagne, des rocs où sont plantés des arbres minuscules et presque tous semblables.
Au siècle suivant seulement, les arbres se diversifient et atteignent l’échelle des humains: dans son Baptême du Christ, Piero délia Francesca peint pour la première fois un arbre si grand qu’il n’apparaît qu’en partie dans le tableau.
Examiner, dans les œuvres exécutées entre le XIIIe et le XVe siècle, la façon dont les peintres se sont ainsi progressivement rapprochés de la nature est riche d’enseignements: les rochers, héritage des icônes byzantines, s’adoucissent pour se transformer en collines, en vallées et en plaines; le sol, d’abord stérile, se couvre d’herbes, de fleurs (identifiables), de cultures et de forêts; le fond décoratif hérité du premier Moyen Âge cède la place à des ciels auxquels on peut croire: ciels diurnes où le soleil brille et où passent les nuages, nuits qu’éclairent la lune et les étoiles, ou lumière ambiguë de l’aube, du crépuscule ou de l’orage, comme dans la Tempête de Giorgione.
Peindre le décor de la nature
Mais une réticence vis-à-vis du paysage demeure : ces aperçus de la nature, longtemps, servent de décor aux œuvres au lieu de constituer leur motif. D’après les historiens d’art, le paysage serait né dans la ville de Venise. Dans la cité des doges – celle aussi de Vittore Carpaccio, de Giovanni Bellini, de Giorgione -, la peinture offre dès la fin du XVe siècle et le commencement du XVIe des vues admirables de la lagune et de l’arrière-pays, la «terre ferme» rurale.
Ces vues forment le cadre de sujets qui ne sont pas paysagers. Elles abritent la représentation d’une chasse aux canards (Carpaccio), d’une crucifixion ou de quelque autre épisode saint (Bellini), ou encore la rencontre mystérieuse d’un jeune homme habillé et d’une femme nue (Giorgione).
Il en va de même, du moins en Italie, chez les autres grands peintres: les vallées ennoyées derrière la Joconde constituent un « paysage choisi », pour reprendre la métaphore de Verlaine – paysage mental, en fait, que Léonard de Vinci a conçu comme un écho très fort au mystère de son modèle — ; mais il n’est jamais allé, quant à lui, jusqu’à exécuter de paysage « pur».
Le paysage, la constitution d’un genre pastoral
Le paysage comme genre autonome semble avoir pris son essor dans le nord plutôt que dans le sud de l’Europe : plus exactement dans les régions germaniques et spécialement dans la zone danubienne où une nature encore vierge subsiste au xvte siècle. Chez Cranach le Jeune, chez Albrecht Altdorfer, de très denses forêts, aux arbres immenses, semblent venir à l’assaut de personnages si petits qu’on a quelquefois de la peine à les distinguer.
Ces paysages des tableaux allemands inquiètent ; ils attirent aussi. En ce début de l’âge moderne où les nations commencent à se constituer, leur représentation fait partie de la formation de ce qu’on appellera, peut-être dangereusement, l’âme germanique» : la passion pour la terre (Boden), pour ce paysage brut que, des siècles auparavant, l’écrivain Tacite décrivait dans la Germanie.
Le caractère du paysage
De fait, si l’on esquisse à grands traits le caractère du paysage, dans les différentes régions où il prend son essor à partir du XVIe siècle, on constate d’évidentes oppositions. Les peintres de l’Europe centrale représentent des paysages immenses où l’homme se sent perdu : hautes montagnes, pentes escarpées ouvrant sur des plans lointains vertigineux, immenses ciels et frondaisons à peine moins considérables.
Dürer, qui traverse à plusieurs reprises les Alpes au début du XVIe siècle, Adam Elsheimer aux alentours de 1600, Caspar David Friedrich dans la première moitié du XIXe siècle incarnent cette tendance à propos de laquelle les termes de «cosmique» et de «sublime» viennent à l’esprit. Les Flamands, eux aussi, à la suite de Joachim Patinir dans le premier quart du XVIe siècle, peignent de vastes horizons et ne négligent ni les rochers, ni les montagnes : Pierre Bruegel le Vieux exécute de nombreux paysages alpestres lorsqu’il se rend en Italie dans les années 1550.
Mais ils peuplent ces demi-solitudes d’hommes bien visibles, tracent un réseau de chemins et figurent des maisons. Peints avec méticulosité, souvent gravés, leurs paysages donnent l’idée d’un monde habité où la nature a été domestiquée.
Enfin, les Italiens représentent une nature considérablement différente. Aux montagnes ou aux vallées sauvages, ils préfèrent une molle campagne colonisée par l’homme, c’est-à-dire cultivée et densément jalonnée d’architectures : des vallées et des plaines semées de bourgs, de fermes ou de villas, ou encore de ruines.
Peinture de marine et campagne couverte de végétation
Au XVIIe siècle, la peinture du paysage reste très différenciée selon les artistes peintres et les régions. En Hollande, les tableaux qui cultivent ce genre pour lui-même, c’est-à-dire sans recourir au prétexte d’un autre sujet, deviennent de plus en plus nombreux : achetés par une clientèle bourgeoise, ils constituent le principal ornement des demeures, à côté des portraits familiaux et des scènes de genre.
La plupart représentent la campagne locale. On y voit la mer apaisée ou démontée, qu’elle constitue le thème principal («marine») ou un motif annexe: les navires marchands hollandais, maîtres des océans et fondement de la richesse des Pays-Bas, y apparaissent souvent. Les horizons bas d’une campagne sillonnée de fleuves, couverte de végétation, s’y déploient sous des ciels nuageux ; un moulin à vent, quelquefois, se dresse en bonne place.
Peindre des extérieurs urbains
Des peintres comme Hendrick Avercamp montrent des étangs glacés où patinent les citoyens de la République, toutes classes confondues. D’autres se consacrent à des vues de villes, avec leurs maisons de briques, les façades aux pignons à redents, les églises gothiques aux flèches considérables.
Jan Van der Heyden, Carel Fabritius, peignent de ces extérieurs urbains, dont la quintessence reste la Vue de Delft de Vermeer, « le plus beau tableau du monde» pour Marcel Proust, qui rendit l’œuvre célèbre dans À la recherche du temps perdu.
Les paysages de l’Europe du Sud contrastent singulièrement avec ces tableaux à la forte couleur locale, qui expriment l’attachement des citoyens des Provinces-Unies à leur pays.
Chez les Italiens, Annibale Carrache puis le Dominiquin dans la première moitié du XVIIe siècle, mais aussi chez les Français Philippe de Champaigne, Claude Lorrain et surtout Poussin dans les années 1640-1660, des plans horizontaux successifs échelonnent de grands arbres, des cultures, des routes, des talus, des rochers, des eaux calmes et des édifices que l’on nomme désormais «fabriques», sous des ciels souvent clairs, d’un bleu lumineux que traversent les nuages.
L’homme habite toujours ces paysages : il occupe le premier plan et sa présence se découvre souvent presque jusque dans le fond des tableaux.
Le Paysage héroïque
Face à ce type d’œuvres qu’on qualifiera génériquement d’«idéales» ou de «classiques», il faut demeurer sensible à la singularité de chacune. Désignant la tonalité qu’il entend donner à une peinture, Poussin distingue le mode « grave et sévère », celui qui se veut «véhément et furieux», celui qui a « une certaine suavité et douceur» et enfin celui qui est « joconde», autrement dit joyeux. La poétique de ses paysages reflète quelquefois cette répartition théorique: le mode grave – certains théoriciens de l’art, au XVIIIe siècle, parler de « paysage héroïque » — s’exprime par exemple dans le Paysage avec les cendres de Phocion, à la composition ample et sévère, aux plans échelonnés aboutissant à des architectures classiques ; le Déluge, appelé aussi l’Hiver, s’inscrit dans le mode «véhément», autrement dit tragique, avec sa lumière sombre, l’omniprésence de l’eau et des rochers menaçants, les gestes affolés des hommes et la grande oblique de l’éclair.
Mais il est plus difficile de classer d’autres tableaux, par exemple le Printemps (Adam et Ève au paradis terrestre): la lumière plus claire, le caractère doucement sauvage de la végétation, les mouvements en diagonale des nuages dans le ciel stable ne peuvent être lus selon un mode unique.
On pourrait qualifier ces paysages de «pastorals» ou de «champêtres» ou insister sur leur sensibilité romantique avant la lettre, mais il n’est pas toujours indispensable de proposer une classification des œuvres, c’est-à-dire de subordonner le sentiment au discours.
Le lieu où vit l’artiste peintre
Il n’est pas question de tenter ici une histoire, même esquissée, du genre du paysage. Remarquons seulement que les vues représentées varient, bien évidemment, avec le lieu et le temps où vit l’artiste peintre qui les représente. L’histoire – histoire technique et économique, histoire des déplacements, sinon du tourisme — a donc aussi sa part dans la compréhension de l’évolution du genre.
La destination «naturelle» des artistes a longtemps été l’Italie: les tableaux ont privilégié ses campagnes humanisées, sa lumière claire, ses reliefs souvent paisibles et les ruines que, fréquemment, on y voit.
La découverte de l’Orient – en réalité, dans un premier temps, de la Grèce et de l’Afrique du Nord-, a suggéré aux peintres des œuvres où la lumière est plus crue, la nature plus sèche – quelquefois le désert avec ses oasis – et les architectures bien différentes.
Le chemin de fer, à partir du XIXe siècle, les a transporté, plus souvent et plus aisément, soit dans la campagne proche des villes pour de brefs séjours, soit plus loin ; les paysages de bord de Seine qui envahissent les tableaux à la fin du XIXe siècle ne se conçoivent pas sans la mode du «dimanche à la campagne», pas plus que les vues de Bretagne et, en général, les paysages de mer : l’océan autour des stations de la Normandie dans un premier temps, la Méditerranée et la Provence brusquement rapprochées de la capitale ensuite, pour ne prendre d’exemple que dans la peinture française. Au-delà de ces déplacements, le regard que les peintres ont porté sur les paysages a varié selon leur sensibilité et celle de leur époque.
Dans la même campagne italienne, Poussin a peint des édifices antiques admirablement conservés ou plutôt idéalement restaurés, tandis qu’Hubert Robert et Honoré Fragonard, un siècle plus tard, ont cultivé la «politique des ruines». Dans l’Europe du XIXe siècle, John Constable s’est attaché à saisir des ciels chargés d’ineffables nuages et Jean-Baptiste Corot, des forêts et les bourgs de la Normandie dans le style néoclassique italien, tandis qu’Édouard Manet, par exemple, se fixait le projet de saisir la modernité nouvelle du monde, s’inspirant des photographes qui prenaient pour motif la ville avec ses échelonnements de toits, ses fumées, ses ponts et ses chemins de fer.
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