C’est en Grande-Bretagne qu’est né le Pop Art, terme employé pour la première fois par le critique Lawrence Alloway : il souligne l’intérêt d’une analyse de la sous-culture de masse et organise deux expositions en 1955 et 1956, où se détachent les figures de Richard Hamilton, Eduardo Paolozzi, Kitaj (professeur de David Hockney).
Mais c’est aux États-Unis que le Pop Art atteindra la plus grande radicalité : rendus attentifs au quotidien par Rauschenberg, Warhol et Johns, les artistes s’intéressèrent à la « circulation » des attitudes et des objets.
Tableaux Pop Art
L’une des premières réalisations du Pop Art, « le Magasin » d’Oldenburg (The Store, 1961), est à cet égard très significative : cet environnement inclut, à l’échelle 1/1 et peintes au naturel, des reproductions en plâtre de vêtements, de nourriture, d’ustensiles divers, disposés comme pour la vente.
Le consumérisme et le conformisme de la société américaine reposant moins sur les objets eux-mêmes que sur leur médiatisation, les artistes pop développèrent leur travail à la croisée d’une double exigence : la banalité de l’objet, rendu pourtant hiératique par son caractère stéréotypé, et le moyen d’exécution des œuvres d’art non moins stéréotypé : environnements (Claes Oldenburg né en 1929, George Segal né en 1924, Edward Kienholz né en 1927), tableaux (Andy Warhol, 1928-1987, Roy Lichtenstein né en 1923, James Rosenquist né en 1933, Jim Dine né en 1935), sculptures (Warhol, Lichtenstein, Oldenburg), sérigraphies (Warhol), ou réalisations frontales mais en relief (Tom Wesselmann né en 1931, Jim Dine né en 1935).
Andy Warhol peint ou réalise au moyen de la sérigraphie des roi bouteilles de Coca-Cola, des boîtes de soupe Campbell, des événements solitaires ou répétés : Marilyn Monroe (photo passée dans les journaux le lendemain de son suicide), Jackie Kennedy (le lendemain de l’assassinat du président Kennedy), Liz Taylor (dont les frasques amoureuses « faisaient la une »), Accidents de la route, Emeutes raciales, etc. : au regard des médias, tous ces « objets » sont présents de la même manière dans notre vie quotidienne, ils sont équivalents.
La répétition dans l’œuvre exhibe la dissolution du thème (qui s’effectue ordinairement dans la succession des apparitions dans les médias) ; en même temps, la juxtaposition des thèmes dans la production de l’artiste peintre actuel met au jour le scandale d’une telle équivalence.
Lichtenstein exploite l’imagerie quelque peu désuète en 1960 des comics des années 40 : décalage temporel qui permet au spectateur d’analyser ce qui a été pour lui formateur. Sortie de toute séquence narrative, l’image révèle ses ressorts idéologiques : belle blonde versant une larme sur un chagrin d’amour (Hopeless, 1963), bel aviateur héroïque et loyal (Mr. Bellamy, 1961), jusqu’à l’art lui-même qui fait l’objet d’une diffusion médiatique affadissante, comme le montre la série réalisée à partir du Cubisme et du Surréalisme.
Segal moule en plâtre des personnages pris dans des attitudes quotidiennes, dînant en famille (1962) ou descendant du bus (1967), les moulages blancs étant disposés avec les accessoires nécessaires : présence dépersonnalisée, réduite à une gestualité qui est précisément « celle de tout le monde ».
Tom Wesselmann réalise sur des panneaux de bois des assemblages d’objets réels : grandeur nature, un fragment de salle de bain (avec lunette de toilettes, rouleau de papier, étagère garnie, (détail) rideau de douche, carrelage), montre une brunette plongée dans plâtre peint la mousse de sa baignoire et téléphonant (Bathtub Collage, 1963) : ici, c’est l’environnement qui prime, Wesselman jouant de l’accumulation de détails « véristes » que l’on observe dans les publicités et dans les revues de décoration.
Après The Store, Oldenburg entreprend de modifier l’échelle des objets reproduits et de jouer avec les matériaux : le rouge à lèvres géant qui trône à Yale University (Lipstick Monument, 1969), les ustensiles en tissus, donc mous, répondent tous à une logique perverse : révéler le côté totémique de ces commodités, et en détruire toute ustensilité, à la limite toute matérialité : une machine à écrire molle en toile cirée noire (Soft Typewriter, 1963) n’est plus une machine à écrire. La désinvolture avec laquelle Warhol ajoute des couleurs trop crues et bavantes à des sérigraphies — notamment sur les portraits — rend toute figure dérisoire et minable.
L’application avec laquelle Lichtenstein indique, en changeant d’échelle, la trame de la reprographie industrielle révèle à l’intérieur de l’image son inscription dans le flux des « grands tirages », comme le phylactère révélait la banalité de là narration. Les matériaux et couleurs de Wesselmann, les collages agrandis et reproduits en peinture de Rosenquist insistent sur la préfabrication de nos cadres de vie, sur le caractère bon marché et commun qui y préside, sur la conformité de nos attitudes à ce que les médias nous inculquent en fait d’« art de vivre ».